Droit à la déconnexion : protection, loi et télétravail

La quête effrénée de la maximisation des performances et l’insécurité de l’emploi sont autant de facteurs ayant conduit les employeurs à ôter certaines limites importantes, relatives à la vie privée de leurs salariés. Dans plusieurs entreprises, voire la quasi-totalité, il n’existe qu’une lueur de frontière entre la stricte vie privée de l’employé et son travail, à cette ère où les NTIC sont au cœur des échanges humains. A moult reprises, les employeurs contactent régulièrement leurs salariés en dehors des heures légales de travail, au point où cette situation soit devenue conventionnelle.

Et pourtant, le malaise est bien réel. Plusieurs salariés souhaitent profiter de leurs soirées, week-ends et vacances en famille sans être contraints de répondre aux mails ou de satisfaire une certaine urgence professionnelle. C’est ce qui a motivé le législateur, sous l’influence des organisations syndicales, à proposer une loi, qui fixe les limites de l’exploitation du digital en entreprise : le droit à la déconnexion.

Inscrit dans la loi El Khomri du 8 Août 2016 en son article 55, le droit à la déconnexion est entré en vigueur le 1er Janvier 2017, date à laquelle il contraint désormais les entreprises ayant plus d’une cinquantaine d’employés à mettre en place une politique d’application de cette disposition légale.

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Qu’est-ce que le droit à la déconnexion ?

Le droit à la déconnexion est une disposition légale qui vise le respect de la séparation de la  vie privée et professionnelle des employés, spécialement ceux dans le télétravail, ou  qui bénéficient d’un statut cadre.

D’une part, cette loi invite, voire contraint l’employeur, à faire diligence pour ne pas contacter ses employés en dehors de leurs heures de travail, encore moins leur confier des tâches.

D’autre part, elle confère à ces derniers la liberté de ne pas se connecter, ou le cas échéant, le droit de ne pas répondre, durant leur temps libre, à certaines missions professionnelles confiées par mail, messagerie et autres canaux de contact relevant du digital.

Le droit à la déconnexion une contrainte à laquelle toute entreprise ayant plus de 50 salariés doit satisfaire, selon les dispositions prévues par la loi.

Champ d'application du droit à la déconnexion

La loi sur la déconnexion applique la transposition des normes aux outils numériques. Elle se saisit des questions de définition du temps de travail des salariés, personnel d’encadrement et de direction aux termes de l’article L.2242-8 du code du travail. Contrairement à ce que beaucoup peuvent s’imaginer, ce droit intervient aussi bien durant les heures de travail, qu’en dehors.

Le droit à la déconnexion aux heures de bureau 

Si beaucoup se retrouvent à finaliser les rapports dans le métro ou à la maison, c’est en partie parce que les notifications à outrance influent sur leur concentration, et par ricochet sur leur productivité dans les délais impartis.

Dans ce cadre, la loi sur la déconnexion invitera les employeurs à limiter les intrusions via les messageries, les mails et autres. 

C’est le cas par exemple du Géant de la Téléphonie Orange, qui a accordé aux employés la possibilité de ne pas être connecté sur leurs Smartphones durant leurs de réunions, afin de maximiser leurs concentrations.

Le droit à la déconnexion en dehors des heures de bureau 

L'employé doit pouvoir se déconnecter de sa vie professionnelle lorsqu’il n'est pas au travail. Les NTIC sont devenues un prétexte pour augmenter la masse horaire de travail des employés, directement ou non et ce, sans cadre légal précis.

Concrètement, la loi sur la déconnexion intervient là où, via un SMS ou courrier électronique, l’employeur contraint son employé aux heures supplémentaires, parfois outrepassant le cadre légal. Pour plusieurs, il suffit d’un e-mail pour que des vacances partent en fumée.

C’est une violation flagrante de la vie privée à laquelle le législateur propose une solution, d’autant plus que le digital ne cesse de s’imposer dans les habitudes humaines.

La loi sur la déconnexion est mise en application pour rétablir la frontière quasi inexistante  entre la vie privée et celle professionnelle. Ce droit est le fruit d’une lutte acharnée des confédérations de travailleurs.

La bataille pour l'obtention du droit à la déconnexion a démarré sous la houlette de l’Union Générale des Ingénieurs, Cadres et Techniciens de la Confédération Générale de Travail (UGICT-CGT) en 2014.

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Retours sur les différentes réformes sur la déconnexion au travail

Droit à la déconnexion en 2014

En mai, lors d'un congrès, l'UGICT-CGT débute par le lancement d’une grande campagne pour le droit à la déconnexion et la réduction du temps de travail. Les premières propositions évoquant la réduction du temps de travail et du droit à déconnexion sont intervenues en conférence de presse en Septembre.

C’est suite à cela que l’on a assisté à de nombreuses consultations renforcées par des campagnes au sein des entreprises, certaines ayant débouché sur des accords.

Droit à la déconnexion en 2015

En Janvier 2015 s’est tenu l’animation des rencontres d'options "le numérique, l'entreprise et le travail, quels impacts et quelles perspectives ?’’.

Les mois qui ont suivi ont été marqués par d’autres rencontres d’options sur le thème ‘’La révolution du numérique, vers un nouveau modèle économique et social ?’’, pour finalement déboucher, en Novembre, sur la transmission au Ministre du travail des propositions précises pour l’introduction du droit à la déconnexion dans le code du travail

Droit à la déconnexion en 2016

Ce fut l’année de la grande victoire car, en Mars, le Gouvernement a finalement décidé d’insérer dans le code du travail, le droit à la déconnexion pour une mise en place par l'employeur en 2017.

Un pas supplémentaire fut franchi en Juillet, mois au cours duquel il a été exigé que les modalités d’application de ce droit soient à l’ordre du jour durant la NAO (négociation annuelle obligatoire) entre les femmes et les hommes, ainsi que la qualité de vie au travail en 2017. Le droit à la déconnexion fut ainsi promulgué le 8 Août 2016.

Droit à la déconnexion en 2017

Comme prévu dans le code de travail, le droit à la déconnexion fait partie intégrante de la négociation annuelle obligatoire sur la qualité de vie au travail.

Droit à la déconnexion en 2018

Le droit à la déconnexion est toujours d’actualité en 2018. En effet, selon la fondation Pierre Deniker, avec la récente et 1ère étude épidémiologique représentative de la population active française, présentée au CESE le 26 novembre 2018, la mise en place d’un droit à la déconnexion effectif est nécessaire pour lutter efficacement contre la hausse significative des pathologies mentales liées au travail : 15% des actifs déclarent ne pas pouvoir mener de front vie professionnelle et vie personnelle et, parmi eux, 45 % présentent une détresse orientant vers un trouble mental contre 18% chez ceux qui n’ont pas cette difficulté.

En décembre 2018, l’étude menée par Eléas montre que les flux d’informations liés aux outils numériques étaient susceptibles d’impacter la santé des utilisateurs et leurs capacités cognitives, particulièrement les jeunes salariés âgés de 18-29 ans puisque 44% d’entre eux expriment un sentiment de submersion et 48% un sentiment de stress.

Les moyens de mise en œuvre du droit à la déconnexion

Certes, les modalités d’application du droit à la déconnexion ne figurent pas dans la loi, mais l’entreprise l’exécute par le biais soit de l’accord d’entreprise, soit de la charte.

Si la loi laisse le choix aux entreprises d’en discuter en leur sein avec leurs employés, c’est notamment parce que les réalités diffèrent d’une entreprise à une autre, en fonction du secteur.

L’accord  d’entreprise

L’accord d’entreprise entre salariés et employeur est une obligation relevant du droit à la déconnexion, depuis le 1er Janvier 2017. Elle fait désormais partie intégrante des sujets de négociation entre les deux parties dans le cadre de la Négociation Annuelle Obligatoire (NAO) abordant, entre autres, les conditions de vie au travail.

Cet accord sera donc le fruit de leurs négociations, qui définira les modalités d’application du droit à la déconnexion au sein de l’entreprise. En absence d’un accord, l’employeur peut initier une charte.

La Charte du droit à la déconnexion

La charte est élaborée par l’employeur sur consultation du Comité d’Entreprise ou des délégués du personnel. Elle est censée énumérer les modalités d’application du droit à la déconnexion, à l’endroit des salariés relevant du régime des forfaits jours ou en général, au personnel d’encadrement et de direction.

Elle devra également prévoir des formations, ainsi que les moyens de sensibilisation à l’utilisation limitée et raisonnable des outils numériques, dans le cadre professionnel.

Que ce soit par accord ou charte, l’employeur a l’obligation d’instaurer une politique de respect du droit de la loi sur la déconnexion, au risque de subir les sanctions annoncées par elle.

Les sanctions relatives au non-respect du droit à la déconnexion

Selon l’article L. 2243-2 du Code du Travail, l’employeur qui ne s’enquiert pas de son obligation de négociation sur le droit à la déconnexion s’expose à une peine d’un an d’emprisonnement ainsi qu’une amende de 3750€.

Aussi, l’article L. 4121-1 du code de travail, relatif au non-respect de l’obligation de sécurité de résultat, pourrait servir d’appui pour une condamnation supplémentaire, en raison de l’absence des dispositions adéquates devant protéger la santé de ses salariés.

Que risque l'employeur qui ne respecte pas le droit à la déconnexion ? 

L’employeur a l’obligation d’aborder la question du droit à la déconnexion lors des négociations annuelles.

Un employeur ne peut licencier un salarié qui n’a pas répondu à des sollicitations professionnelles en dehors de son temps de travail.

Une indemnité d’astreinte doit être payée au salarié à qui l’on demande de rester en permanence disponible pour répondre à d’éventuels besoins.

Le non-respect du repos quotidien et/ou hebdomadaire des salariés expose l’employeur à des sanctions civiles et pénales.

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