Comment traiter le fait religieux en entreprise ?

Le fait religieux en entreprise est un sujet complexe, qui a toute son importance dans une société française où la laïcité et la liberté de cultes sont primordiales. La laïcité en France est un principe juridique encadré par la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, qui régit le fonctionnement du droit public. Toutefois, les entreprises privées ne sont pas dans le champ de cette loi.

Il n’y a pas une seule loi sur la religion au travail, mais plusieurs principes différents à prendre en compte. Le fait religieux en entreprise doit être analysé à la lueur de la liberté religieuse et les obligations induites par le Code du Travail sur le fait religieux, notamment avec l’obligation du respect des opinions et l’interdiction des discriminations fondées sur les convictions religieuses.

Alors, comment traiter la question des faits religieux en entreprise ? Nous faisons le point dans cet article.

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Principes et règles régissant le fait religieux au travail

Le fait religieux en entreprise est régi par plusieurs règles essentielles à connaitre. L’employeur doit appliquer un principe de non-discrimination et respecter la liberté religieuse. Il y a toutefois des restrictions possibles, en incluant une clause de neutralité religieuse, si elles sont parfaitement justifiées et proportionnées. 

Le principe de laïcité en entreprise

La laïcité est un principe fondamental en France, qui a pour origine la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et rappelé dans l’article 1er de l’actuelle constitution de la Vᵉ République.

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances… »

La définition de la laïcité s’entend comme un mode d’organisation de la société basée sur la séparation entre l’Église et l’État. Elle exclut les Églises de l’exercice du pouvoir politique ou administratif, en particulier dans l’enseignement. Elle signifie donc une obligation de neutralité, se traduisant par l’absence de manifestation apparente de convictions religieuses. 

La neutralité s’impose à l’État et tous ses agents, ainsi qu’aux agents d’entreprises privées gérant un service public, dans leurs relations avec le reste des citoyens.

Aussi une entreprise privée qui n’exerce pas une mission de service public, n’entre pas dans le champ la laïcité.  Au contraire l’entreprise doit respecter la liberté religieuse de ses salariés ou ses fournisseurs et clients, dans le respect du bon fonctionnement de l’entreprise.

Le principe de liberté religieuse

La liberté religieuse se traduit par la liberté de croire ou ne pas croire et donc de pratiquer une ou aucune religion. Elle est encadrée par plusieurs textes à valeur légale. Si la liberté religieuse et celle de manifester sa croyance religieuse sont deux libertés fondamentales, il y a une différence majeure entre les deux.

La liberté religion est absolue. La liberté de manifester sa conviction peut être restreinte dans des conditions précises. C’est sur ce point que le ministère du Travail a réalisé un guide extrêmement complet pour savoir comment doit être encadré la liberté de manifester ses croyances religieuses, à destination des employeurs et des salariés.

Par ailleurs si la liberté religieuse permet l’expression de ses convictions religieuses dans des conditions précises, son usage abusif est considéré comme du prosélytisme, ce qui peut être sanctionné. 

Le principe de non-discrimination

Le principe de non-discrimination tire son origine du principe d’égalité devant la loi, issue également de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et reprise aussi au même article 1er de la constitution de l’actuelle Vᵉ République. 

Toutefois l’égalité en droit n’implique pas l’absence d’inégalités dans les faits. Les personnes peuvent donc subir, du fait de leur sexe, orientation sexuelle, origine sociale, couleur de peau, convictions religieuses ou opinions politiques des discriminations, c’est-à-dire être lésées dans leur vie quotidienne ou au travail.

Aussi, le principe de non-discrimination a été consacré, notamment en droit du travail pour assurer l’égalité des citoyens en droit. La différence de traitement, basée sur un certain nombre de critères précisément listés et considérée comme discriminatoires, est donc interdite. 

Le principe de neutralité religieuse

Dans le cadre spécifique du travail en entreprise privée, le principe de neutralité religieuse a ainsi été précisé pour permettre à l’employeur de s’assurer limiter la manifestation des croyances religieuses des salariés. Mais cette clause de neutralité religieuse doit être, d’un côté, dûment justifiée par la nature de la tâche à accomplir, l’impact sur le bon fonctionnement de l’entreprise et le respect d’autres libertés fondamentales, et de l’autre proportionnée au but recherché.

Faits religieux en entreprise : que disent la loi et le Code du Travail ?

Avant tout, précisons que la laïcité ne s’applique pas au contexte de l’entreprise privée.

La Cour de cassation a notamment précisé que « le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. Ce principe ne peut dès lors être invoqué pour priver [les salariés] de la protection que leur assurent les dispositions du Code du travail. » 

Un certain nombre de textes encadrent les principes de non-discrimination et de liberté religieuse.

Tout d’abord, les textes qui fondent la base du droit constitutionnel consacrent d’égalité devant la loi, de non-discrimination et de liberté religieuse. Il s’agit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 et enfin de la Constitution actuelle, du 4 octobre 1958.

  • la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;
  • du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 ; 
  • de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 ;
  • et enfin de la Constitution actuelle, du 4 octobre 1958.

Des textes internationaux et européens ont également confirmé la force de ces principes comme la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 et la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

Enfin le Code du Travail et le Code pénal interdisent également les différences de traitement considérées comme discriminatoires parmi lesquelles figure la différence de traitement fondée sur l’appartenance réelle ou supposée à une religion. 

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Le Code du Travail et le fait religieux

C’est l'article L.1132-1 du Code du travail qui interdit les discriminations fondées sur les convictions religieuses. 

L'article L 1121-1 du Code du travail apporte quant à lui la précision selon laquelle des restrictions peuvent être apportées à la liberté religieuse, mais pas dans n’importe quel contexte et selon n’importe quelles conditions.

Aussi le Code du travail, consacre la liberté religieuse et le principe de non-discrimination tout en permettant à l’employeur d’apporter des restrictions à la liberté de manifester ses convictions, notamment religieuses, sous certaines conditions encadrées. 

La loi travail du 8 août 2016 a précisé cette possibilité en réaffirmant aux entreprises l'autorisation d'ajouter d’une clause une neutralité religieuse dans leur règlement intérieur tout en précisant le cadre dans lequel cela pouvait se faire. 

À l’issue de cette loi, l’article L. 1321-2-1 du Code du travail autorise donc l’employeur à inscrire dans le règlement intérieur une exigence de neutralité au sein de l’entreprise, dans le but de limiter la manifestation des croyances personnelles, et notamment religieuses des collaborateurs. Mais cela ne peut se faire que pour des raisons justifiées et de manière proportionnée. 

Concrètement, le ministère du Travail dans son guide à destination des employeurs pour le traitement du fait religieux en entreprise, donne plusieurs exemples dans lesquels la jurisprudence a considéré la mise en place la neutralité comme justifiée.

Comment traiter la question des faits religieux en entreprise ?

L’entreprise est un lieu de socialisation, d’échanges et parfois de confrontations, car les salariés y vivent également en tant qu’individu avec leur culture, leurs convictions et leurs croyances ou non-croyances. Le Ministère du Travail a identifié que les employeurs et autres acteurs de l’entreprise, DRH, CSE, délégués syndicaux, étaient plus souvent confrontés à la question de la manifestation des croyances religieuses. D’où la réalisation d’un guide pour apporter des réponses aux employeurs, salariés et représentants du personnel sur ce sujet. 

Les différentes religions en France

La France ne tient aucune statistique officielle permettant de comptabilité les pratiquants de différentes religions. Toutefois, des estimations sont faites sur des enquêtes d’opinions. Celles-ci estiment qu’il y a 5 religions majoritairement pratiquées en France : le christianisme (catholicisme et protestantisme), l’islam, le bouddhisme et le judaïsme.

Par ailleurs, le taux de pratique religieuse est particulièrement faible en France. Selon l’observatoire de la laïcité en 2019, 37% de la population française se déclare croyante, 31% athées ou non-croyantes, 15% agnostiques, le reste de la population (17%) étant indifférent ou sans réponse.

Quels sont les signes ostentatoires religieux ?

Un signe religieux est un objet porté par une personne pour manifester son appartenance à une conviction religieuse. Les principaux signes religieux sont :

  • la croix, un symbole religieux chrétien ;
  • le foulard ou voile islamique, appelé hidjab ;
  • le voile intégral (burqa ou niqab) ;
  • la kippa, une calotte portée par les juifs pratiquants ;
  • le dastar, un turban porté par les hommes sikh.

Un signe religieux est ostentatoire lorsqu’il est non seulement visible, mais cherche à attirer l’attention. C’est donc une notion très subjective, car il doit être porté avec l’intention d’attirer l’attention des autres.

C’est la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école publique qui a relancé le débat et précisé la notion de signes religieux ostentatoires, mais celle-ci ne s’applique pas dans une entreprise privée.

L’arrêt n° 2484 du 22 novembre 2017 de la Cour de cassation a confirmé qu'une entreprise privée pouvait interdire le port des signes religieux ou politiques ostentatoires au travail à ses salariés, mais seulement dans certaines conditions très restreintes. Les salariés doivent être en contact avec les clients et cette interdiction inscrite dans le règlement intérieur.

Le porte d’un voile intégral, couvrant le visage, est par contre interdit par la loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public. La notion d’espace public a fait débat dans l’application de cette loi, mais l’exigence de sécurité peut être invoquée, si elle est justifiée, pour l’interdiction de ce signe religieux dans l’espace de l’entreprise privée.

Les règles dans l’entreprise

C’est dans le règlement intérieur de l’entreprise que sont définies toutes les règles qui s’appliquent en son sein. Il est obligatoire dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés et fixe les règles dans le domaine de l’hygiène et la sécurité et de la discipline.

Il contient un certain nombre de clauses en matière disciplinaire, qui ne peuvent, nous l’avons déjà vu, avoir un caractère discriminatoire ou porter atteinte aux libertés. Mais ce règlement intérieur peut préciser les enjeux de neutralité religieuse pour encadrer les manifestations d’appartenance à des croyances religieuses.

Le règlement intérieur peut donc préciser les règles relatives à :

  • l’organisation de la pause déjeuner ;
  • la tenue vestimentaire autorisée au travail ;
  • les conditions de prise de congés et d’aménagements d’horaires ;
  • le respect du principe de l’égalité homme/femme ;
  • l’interdiction du prosélytisme ;
  • et toutes les sanctions associées au non-respect de ces règles, qui doivent rester proportionnées à l’impact sur le bon fonctionnement de l’entreprise et au respect des libertés fondamentales.

Il faut être vigilant et se reporter aux nuances entre neutralité et liberté religieuse pour statuer sur d’autres dispositions plus précises associées à la pratique religieuse telles que : 

  • la prière dans un local ou dans son bureau ;
  • le port d’un signe ou vêtement religieux ;
  • les restrictions alimentaires liées à la pratique religieuse ;
  • les congés ou aménagement d’horaires pour fêtes ou pratiques religieuses ;
  • les restrictions à l’exécution de tâches ou le refus de visite médicale pour raisons religieuses.

Le guide réalisé à destination des employeurs et la FAQ sur le fait religieux en entreprise sont une mine d’informations pour pouvoir comprendre comment agir sur ces questions dans l'entreprise.

Pratique du ramadan en entreprise : comment l’entreprise peut-elle aider les salariés ?

Le ramadan est une période de jeûne pratiqué dans la religion musulmane. Il dure un mois pendant lequel il n’est autorisé ni de manger ni de boire depuis le lever jusqu’au coucher du soleil. Il peut donc avoir des conséquences sur la vie en entreprise du salarié qui le pratique. 


L’employeur ne peut pas contraindre un salarié à rompre son jeûne ou le sanctionner pour l’avoir pratiqué, car ce serait une restriction à la liberté religieuse. L’employeur doit avant tout analyser si le fait de jeûner est un élément qui implique l’impossibilité d’accomplir les tâches relevant du contrat de travail ou de mettre en péril la sécurité du salarié ou de ses collègues.


Si ce n’est pas le cas, l’employeur peut prendre des mesures de nature à aménager les horaires de travail du salarié si cela est compatible avec l’organisation et la bonne marche du travail et de l’entreprise.

Le rôle du CSE

Peu importe les contenus ajoutés ou modifiés dans le règlement intérieur, le CSE a toujours son mot à dire, en tant que représentant des salariés et responsable de leur sécurité, leur hygiène et leurs conditions de travail.

L’article L. 1321-4 du Code du travail prévoit que « le règlement intérieur ne peut être introduit qu’après avoir été soumis à l’avis du comité social et économique ».

Le ministère du Travail a rappelé l’intérêt du dialogue social entre employeur et élus, lorsque l’entreprise était confrontée à des réflexions sur le fait religieux.

Les instances représentatives du personnel doivent être associées aux décisions prises par l’employeur en matière de faits religieux.

Faits religieux en entreprise, FAQ employeurs et salariés

Les documents du ministère du Travail compilent toutes les pratiques, règles et questions essentielles à connaitre pour traiter, en tant qu’élu ou employeur la question du fait religieux en entreprise.

Le guide réalisé à destination des employeurs ou des candidats et salariés et la FAQ disponible en ligne pour les employeurs et les salariés sont essentiels pour comprendre l'application de tous ces principes au cas concret de la vie en entreprise. Ils permettent de comprendre l'équilibre à atteindre entre la lutte contre des manifestations religieuses, uniquement dans le cas où  elles contreviendraient à la bonne marche de l’entreprise, et le respect des convictions de tous les salariés pour garantir la liberté religieuse et la non-discrimination.

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