Médias sociaux et vie professionnelle peuvent s’avérer délicats à conjuguer. Les réseaux sociaux pour les salariés (Facebook, Twitter, LinkedIn) sont tout autant un outil intéressant qu’un danger potentiel. Leur usage s’est considérablement développé et touche désormais toutes les sphères de notre vie quotidienne.
Ainsi, la limite entre vie personnelle et professionnelle devient de plus en plus fine. Les employeurs peuvent avoir des informations facilement à propos de la vie de leurs collaborateurs. Les salariés peuvent quant à eux communiquer entre eux et avec le reste du monde, à propos de leur vie personnelle, mais aussi professionnelle.
Parfois, ils peuvent diffuser des informations, des images, des avis sur leur entreprise sans l’autorisation de leur employeur.
- Quelles sont les règles à ce sujet ?
- Si l’employeur a une obligation de sécurité et de respect des droits fondamentaux au sein de son entreprise, quel contrôle peut-il exercer sur l’usage des réseaux sociaux par ses salariés ?
- L’employeur peut-il prononcer des sanctions (jusqu’au licenciement) contre ses salariés en raison de leurs actions sur les réseaux sociaux ?
- Quelles sont les règles qui régissent l’utilisation des médias sociaux en droit du travail ?
On vous apporte les réponses à toutes ces questions dans cet article.
La liberté d’expression
La liberté d’expression est un droit fondamental, garanti par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 (articles 10 et 11) ainsi que la Convention européenne des droits de l’Homme (article 10).
En France, la liberté d’expression est garantie au niveau du droit constitutionnel puisque la DDHC fait partie de ce qu’on appelle le bloc de constitutionnalité.
Ainsi, la liberté d’expression doit être respectée par l’employeur pour ses salariés, lorsqu’ils sont dans et en dehors de l’entreprise. En vertu de ce droit, les salariés peuvent s’exprimer librement, y compris à propos de leur mission, des conditions de travail, de l’organisation et du fonctionnement général de l’entreprise.
L’employeur ne peut pas sanctionner un salarié qui exerce sa liberté d’expression, y compris lorsqu’il s’exprime sur les réseaux sociaux. Pour autant, ce droit, bien que fondamental, connaît des limites et un encadrement.
Ainsi, les salariés ont également une obligation de discrétion et de loyauté vis-à-vis de leur employeur.
Le droit à la vie privée
L’utilisation d’internet et notamment des réseaux sociaux est un réflexe pour la majorité des Français. Il est possible d’y accéder en permanence depuis son smartphone, sa tablette ou encore son poste de travail.
Il faut savoir que les informations (écrits, photos, vidéos) publiées sur un réseau social relèvent, en principe et en partie, de la vie privée du salarié, car celui-ci les utilise, en principe également, en dehors de son temps et lieu de travail.
L’employeur étant tenu de respecter la vie privée du salarié. Le salarié bénéficie aussi, sous conditions, d’une protection de sa vie privée, y compris au sein de l’entreprise.
Ainsi, l’employeur ne peut pas en principe utiliser les actes d’un salarié dans sa vie privée, éventuellement publiés sur les réseaux sociaux, pour justifier d’une sanction disciplinaire, sauf en cas d'abus de l'usage de la liberté d'expression ou lorsque les propos d'un salarié sont tenus dans un lieu public et génèrent un trouble manifeste.
En effet, on peut considérer que ce qui est publié sur les réseaux sociaux ne relève pas du domaine privé, mais du domaine public, compte tenu de la portée et l’audience que certaines publications ou actions sur les réseaux sociaux peuvent générer.
C’est ce qui rend la question du contrôle de l’employeur sur l’usage des réseaux sociaux des salariés si complexe.
Lorsque les propos d’un salarié causent un trouble manifeste à la marche générale de l’entreprise ou que leur diffusion sur les réseaux sociaux ne peut plus être assimilée à du domaine privé, l’employeur peut éventuellement sanctionner un salarié sur la base des faits identifiés sur les réseaux sociaux.
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Médias sociaux et droit du travail
Les salariés disposent donc d’un droit à la vie privée et à la liberté d’expression, limité par leur obligation de loyauté et celle de ne pas causer de trouble manifeste à la marche générale de l’entreprise.
Les salariés ont aussi un devoir de discrétion, à savoir de ne pas divulguer des informations confidentielles relatives à l’entreprise ou à sa stratégie.
Les salariés disposent également d’un droit d’expression, à savoir la possibilité de s’exprimer sur le travail qu’ils effectuent et de proposer des améliorations en lien avec ce sujet. Ce droit s’exerce de manière collective et directe, sur les lieux et pendant le temps de travail. Il ne peut ainsi pas s’exercer via les réseaux sociaux par exemple.
Selon le Code du Travail, l’employeur ne peut apporter de restrictions à la liberté d’expression que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (article L 1121-1).
Ainsi, un salarié peut critiquer son employeur, mais pas le dénigrer. Cela s’appelle un abus de liberté d’expression. La liberté d’expression n’autorise en effet pas de tenir des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs envers l’entreprise, ses dirigeants ou même ses différents collaborateurs de façon publique. Or les réseaux sociaux peuvent être un “lieu public”.
De manière générale, tous les propos tenus par un salarié dans sa sphère privée, en dehors du temps de travail, sur son ordinateur ou téléphone personnel relèvent du droit à la vie privée.
Des propos de dénigrement (et pas de simples critiques) tenus à l’encontre de l’entreprise et de l’employeur de façon publique, c'est-à-dire sur des réseaux sociaux ouverts (et pas seulement dans des groupes restreints), peuvent par contre faire l’objet de sanctions.
Ils constituent en effet un abus de liberté d’expression. Mais il faut pouvoir prouver, pour l’employeur, le manquement du salarié à son obligation de loyauté, via une réelle intention de nuire ou des effets nuisibles des propos tenus.
Réseaux sociaux et vie professionnelle, quel contrôle de l’employeur ?
L’employeur peut-il contrôler l’activité des salariés sur les réseaux sociaux ?
La réponse est oui, mais dans une certaine mesure.
En effet, la surveillance et le contrôle des salariés sur le lieu et pendant le temps de travail et la possibilité de sanctionner des comportements considérés comme abusifs sont un droit attribué à l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction.
Un employeur a le droit d’espionner ses salariés tant qu’il n’utilise pas des méthodes de surveillance illicites. (Cass. Soc., 20 novembre 1991)
Cette surveillance se limite au respect de la vie privée du salarié.
À noter
Un employeur peut décider de limiter l’usage des ordinateurs professionnels à des fins privées. Ainsi, il peut fixer les conditions et limites d’accès aux réseaux sociaux durant le temps de travail (par exemple en bloquant l’accès à certains réseaux ou en contrôlant l’usage d’internet…). Cependant, il doit au préalable, en informer les salariés et consulter le CSE. Ces contrôles doivent également figurer dans le registre des activités de traitement.
Il peut également définir à travers une politique de sécurité informatique, ainsi qu’une charte informatique et des règles d’utilisation de la connexion internet à des fins personnelles précisées dans le règlement intérieur de l'entreprise.
Cependant, ce pouvoir doit s'exercer dans un but précis, pour contrôler :
- L’absence d’utilisation abusive du matériel.
- L’absence de mise en danger de la sécurité informatique de l’entreprise.
- L’absence d’atteinte majeure à la productivité des salariés.
Pour cette raison, l’employeur peut rechercher l’historique des connexions internet depuis le poste de travail d’un salarié, puisqu’elles sont présumées toutes avoir un caractère professionnel. C’est ce que confirmait la chambre sociale de la Cour de cassation le 9 février 2010 (Cass. Soc. 9 février 2010, n° 08-45.253).
Toutefois, ce pouvoir de contrôle de l’employeur doit respecter les règles édictées par la CNIL en matière de RGPD (Règlement Général de Protection des Données personnelles) et le droit à la vie privée des salariés, y compris pendant leur temps et sur leur lieu de travail !
Dans ce contexte, l’employeur doit donc tolérer un usage modéré et raisonnable de l’ordinateur ou du téléphone professionnel d’un salarié à des fins privées. Cela vaut pour les réseaux sociaux comme pour la messagerie professionnelle qui peut être utilisée à des fins personnelles de façon modérée et justifiée.
Quel contrôle de l’employeur sur la messagerie professionnelle ?
L’employeur n’a pas le droit de violer le secret de correspondances identifiées comme privées, via la messagerie professionnelle, les réseaux sociaux, les appels ou les SMS. Quand bien même ces correspondances seraient échangées depuis des appareils professionnels !
Au contraire, si le salarié enregistre des mails et pièces jointes de sa messagerie personnelle sur son ordinateur professionnel, sans les avoir identifiés comme personnels, alors ceux-ci prennent un caractère professionnel et peuvent être dès lors consultés par l'employeur.
En effet, l’employeur possède un droit d’accès étendu au matériel informatique utilisé sur le lieu de travail, ainsi il peut accéder aux :
- connexions internet,
- liste des favoris et historique, (Cass, ch. soc., 9 févr. 2010 n° 08-4525)
- fichiers créés,
- courriers électroniques envoyés ou reçus via la messagerie professionnelle.
De plus, l’employeur peut sanctionner un usage abusif par un salarié des réseaux sociaux ou l’usage de la messagerie professionnelle à des fins personnelles, pendant son temps de travail.
C’est le cas jugé par la chambre sociale de la Cour de cassation, le 18 mars 2009 : une durée de 41h de connexion à internet en un mois sur le lieu de travail, pour des raisons personnelles, constituait une durée excessive et une faute grave justifiant le licenciement du salarié (Cass. Com., 18 mars 2009, N° de pourvoi: 07-44247).
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L’employeur peut-il faire usage des réseaux sociaux comme preuve contre les salariés ?
En France, il n’existe pas de jugement définitif pour les réseaux sociaux, car le phénomène Facebook est relativement récent. Il n’y a pas de textes spécifiques qui encadrent la surveillance des salariés sur les réseaux sociaux en dehors des précisions apportées au début de cet article. C’est donc la jurisprudence qui détermine les règles à respecter.
À noter
De manière générale, le droit de surveillance de l’employeur des salariés dans l’entreprise ne doit jamais porter atteinte à leur vie privée.
On a toutefois quelques exemples de jurisprudence de ce qu’on peut appeler des “licenciements Facebook”, car les tribunaux jugent de plus en plus d’affaires en lien avec l’utilisation de Facebook par les salariés.
- Le 10 avril 2013, la Cour de cassation a considéré que les injures publiées sur un mur par une salariée contre son employeur, qui étaient uniquement accessibles aux personnes agréées, ne constituaient pas des injures publiques.
- En 2016, la cour d’appel de Reims a jugé valable le licenciement pour faute grave d’une aide-soignante qui a réalisé un défi sur son lieu de travail, qu’elle a publié sur Facebook, avec une vidéo. Les juges ont estimé que la vidéo portait atteinte à l’image de l’entreprise.
- La même année, la cour d’appel d’Aix-en-Provence considérait que le fait de publier des propos injurieux ou outrageants à l’égard de la hiérarchie sur une page Facebook permettant d’identifier l’employeur justifiait un licenciement pour faute grave.
- En 2018, la cour d’Appel de Toulouse a jugé que le fait d’afficher à la vue de tous sur l’écran de l’entreprise, des propos injurieux à l’égard de ses collègues et de son employeur, tenus sur la messagerie privée de son compte Facebook justifiait un licenciement pour faute grave. C’est d’ailleurs le fait d’avoir laissé la messagerie privée ouverte à la vue des personnes présentes dans les locaux qui avait fait perdre leur caractère privé à ces propos.
Enfin plus récemment, dès lors qu’il n’a eu recours à aucun stratagème pour les recueillir, l’employeur peut produire en justice des éléments personnels extraits du compte Facebook privé d’un salarié, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice du « droit à la preuve » et que l’atteinte à la vie privée du salarié soit proportionnée au but poursuivi (Cass.soc. 30/09/2020, n° 19-12058).
Ainsi, la jurisprudence du licenciement Facebook évolue progressivement. Il est important pour les salariés de protéger les informations qui les concernent, mais aussi de veiller à celles qu’ils diffusent sur les réseaux sociaux, car elles peuvent alors être librement utilisées contre eux.
À noter
La liberté d’expression en France est encadrée et a des limites, celle du respect d’autres droits en vigueur. Il faut donc en tenir compte lorsqu’on s’exprime et s’expose sur les réseaux sociaux. De la même manière, ce n’est pas parce qu’on s’expose ou s’exprime publiquement sur ces mêmes réseaux sociaux que les utilisateurs peuvent réagir par des propos insultants, sexistes, sexuels ou racistes.
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Quelles sanctions possibles contre les salariés ?
L’abus de liberté d’expression par un salarié peut être sanctionné par une mise à pied, un licenciement ou un licenciement pour faute grave, selon les conséquences des faits qui lui sont reprochés. Il faut pour cela avoir des preuves tangibles, obtenues de façon licite, dans le respect du pouvoir de contrôle de l’employeur d’un côté, mais aussi de tous les droits cités préalablement.
Un employeur peut également poursuivre un salarié pour injures publiques ou diffamation, si les conditions prévues par la loi pour de telles poursuites sont bien présentes.
Si l’employeur décide la mise en place de sanctions disciplinaires contre un salarié, il devra évidemment respecter toutes les règles de procédures pour que celles-ci soient valables (formalisme des courriers, respects des délais, entretien préalable, etc.).
Qui contacter en cas de litige ?
En cas de litige, les membres du CSE peuvent informer et accompagner le salarié. En connaissant les droits et devoirs du salarié et de l’employeur, ils peuvent grâce à la négociation aider à sortir d’une situation conflictuelle et assister le salarié en cas de procédure disciplinaire.
La CNIL a rédigé dans un article des recommandations et conseils à destination des salariés comme des employeurs sur l'usage des réseaux sociaux en entreprise. Source : https://www.cnil.fr/fr/le-controle-de-lutilisation-dinternet
Elle précise ainsi qu'une utilisation personnelle des ordinateurs et smartphones professionnels est tolérée si elle reste raisonnable et n’affecte pas la sécurité des réseaux ou la productivité. C’est à l’employeur de fixer les contours de cette tolérance et d’en informer ses employés.